"CE N'EST PAS éTERNEL": INQUIETS POUR L'AVENIR, CES INFLUENCEURS SE LANCENT DANS D'AUTRES ACTIVITéS

De nombreux créateurs de contenu ont lancé des entreprises ces dernières années. Un processus qui mélange passion et raison, avec l'envie d'une sécurité lorsque les réseaux sociaux ne les feront plus vivre.

Yoko Shop, Hôtel Mahfouf, Rouje, Martine Cosmetics, Lockd, Inshape Nutrition… La liste des marques créées par des influenceurs pourrait s'allonger sur de nombreuses lignes. Depuis l'essor de la création de contenu dans les années 2010 (notamment sur Instagram), de nombreuses personnalités ont lancé une activité parallèle aux réseaux sociaux, qui se traduit souvent par des boutiques en ligne.

C'est par exemple le cas de Camille Callen, connue sous le pseudo de Noholita. L'influenceuse "lifestyle" est désormais impliquée à divers degrés dans cinq autres activités, à travers plusieurs entreprises.

"Je ne viens pas du tout d'une famille d'entrepreneurs, mais j'ai toujours eu cette âme de lancer plein de choses. C'est une envie naturelle de bosser sur de nouveaux projets", explique-t-elle à BFMTV.com.

"Plus entrepreneuse qu'influenceuse"

Suivie par un million de personnes sur Instagram, la créatrice se dit même désormais "plus entrepreneuse qu'influenceuse". Ses activités avec sa marque de cosmétiques (baptisée Voilà) et ses bureaux en plein Paris, qu'elle propose à la location pour de l'événementiel, lui prennent plus de temps que la création de contenu sur les réseaux sociaux.

Et pourtant: c'est pour l'instant encore l'influence qui lui permet de gagner sa vie. "Je ne me suis jamais rémunérée avec aucune de mes sociétés", affirme Camille Callen. Elle rémunère toutefois quatre salariés à plein temps avec les revenus de ces entreprises.

À terme, la trentenaire voudrait que "le rapport s'inverse". "L'influence n'est pas éternelle mais j'ai envie d'en profiter pour faire ce qui m'intéresse", ajoute la créatrice. Et elle n'est pas la seule à penser que ce métier est éphémère.

Kimberly Bailly, devenue influenceuse après avoir eu un certain succès sur Tiktok, juge aussi que "dans un métier aussi incertain, c'est bien d'avoir quelque chose à côté". Constater son pouvoir de recommandation auprès de sa communauté l'a incitée à lancer sa marque de vêtements, FKB, et à s'y consacrer à plein temps. Elle a donc quitté son école de commerce après trois années d'études.

"Quand on arrête ses études pour ça, c'est quitte ou double parce que l'influence, c'est instable, on dépend d'un algorithme, d'une plateforme qui peut s'arrêter, d'une communauté…", observe-t-elle auprès de BFMTV.com.

Incertitude "angoissante"

La jeune femme qualifie d'"angoissante" l'incertitude qui entoure ce métier: "À un moment, j'étais dépendante de mes statistiques. Si je ne faisais pas beaucoup (de vues) j'étais mal." Elle est bien consciente de l'importance de se renouveler sans cesse sur les réseaux sociaux, face à des algorithmes et des usages qui évoluent.

Un phénomène que de nombreux créateurs ont déjà dénoncé, certains allant jusqu'au burn-out. "Il y a 10 ans, Youtube, c'était le réseau où tout se passait, aujourd'hui c'est TikTok", cite-t-elle en exemple.

Sur ce réseau, elle montre régulièrement ses tenues et ses achats de vêtements, dans des vidéos parfois vues des centaines de milliers de fois. Kimberly Bailly regarde donc avec inquiétude les discussions autour de la plateforme chinoise et de sa possible régulation, voire son interdiction.

En France, une commission d'enquête a été créée au Sénat en mars afin d'étudier "l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence". Aux États-Unis, des débats ont lieu depuis plusieurs mois sur une éventuelle interdiction de l'application. Face à une telle conjoncture, "le fait de se diversifier ne peut qu'être une sécurité", affirme Kimberly.

Travailleurs précaires?

Les rentrées d'argent, très corrélées aux propositions des marques, peuvent aussi beaucoup varier d'un mois à l'autre pour les créateurs de contenus. Les influenceurs comme Kimberly ou Camille qui parviennent à vivre de leur activité sont aussi très minoritaires dans le secteur.

"Même s'ils sont très visibles, on retrouve une organisation du travail avec une élite qui arrive à s'en sortir et trouve des marges de confort de vie relativement importante, mais pour le commun des influenceurs, la réalité est toute autre", appuie le sociologue Joseph Godefroy, auteur d'une thèse sur la "mise au travail" des influenceurs.

Pour tous, "la situation est précaire parce qu'il n'y a pas d'engagement sur le long terme de la part des marques", qui établissent des contrats de partenariat d'un an au maximum, explique le sociologue.

"Dans n'importe quel autre secteur, on les qualifierait de travailleurs précaires dont profitent les marques", estime-t-il auprès de BFMTV.com.

Des lancements et des échecs

Leurs abonnés constituent une "future base de clients" pour leurs propres aventures entrepreunariales, explique Alice Audrezet, enseignante chercheuse en marketing à l'Institut français de la mode. Mais être très suivi sur les réseaux ne suffit pas à assurer la réussite d'un projet. Mauvaise gestion, conjoncture défavorable, produits qui ne plaisent pas... Les raisons de ces échecs - rarement explicitées - sont nombreuses.

En janvier 2022, la youtubeuse Sananas a ainsi annoncé dans une vidéo la fin de son entreprise de cosmétiques Otrera, lancée seulement six mois auparavant. Elle avait connu de nombreux problèmes logistiques, avec certaines commandes validées plusieurs fois qui devaient être annulées et remboursées. Dans une vidéo publiée en janvier 2023, la vidéaste assure que la fermeture de son entreprise n'était "pas une question d'argent" mais de "santé".

En mars, l'entreprise du youtubeur Amixem, Spacefox, a annoncé arrêter sa production de vêtements et se concentrer sur ses bracelets contenant des fragments de météorites. Dans son communiqué, Spacefox met en avant "la logistique, les temps de développement, l'augmentation constante des coûts et l'évolution des modes de consommation dans le secteur du textile (seconde main, upcycling, etc.)"

Rouje, un modèle pour les influenceurs?

Pour que de telles entreprises tiennent dans la durée, il faut surtout "pouvoir imaginer qu'une autre personne puisse en reprendre les rênes", juge Alice Audrezet.

Cette spécialiste du marketing d'influence cite par exemple Rouje, la marque de vêtements lancée par l'influenceuse Jeanne Damas en 2016, qui se vend en ligne mais aussi aux Galeries Lafayette.

"Je pense que cela fonctionne parce que la marque ne repose pas sur la personnalité et la vie privée de Jeanne Damas, mais sur un univers, la Parisienne des années 1970", analyse Alice Audrezet.

"L'image d'influenceur s'accompagne souvent d'un jugement assez négatif", et les individus qualifiés d'influenceurs "ne se catégorisent souvent pas comme tels", note Joseph Godefroy. "Finalement, ce rapport assez négatif au terme et donc au statut qui leur est associé participe à leur envie de se présenter comme des professionnels d'une activité qui n'est pas seulement celle de faire la promotion d'un produit."

Au-delà de l'aspect financier, ces entreprises sont aussi l'ocassion pour les créateurs d'afficher un nouveau visage. Jeanne Damas se présente elle-même bien plus comme une créatrice de mode et une entrepreneuse que comme une influenceuse.

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